• chapitre quinze

    Lundi 14 avril

      

       Coralie et Larcher passèrent la plus grande partie du dimanche à installer le matériel radio. La grande peur de Larcher était qu'il manque un des éléments nécessaires au montage de leur système de transmission - ce qui aurait repoussé leur tentative d'autant en les obligeant à repartir en exploration - mais tout semblait en ordre de ce côté-là. Certes, ils ne pourraient en être vraiment sûrs que lorsqu'ils tenteraient l'opération mais Larcher était relativement optimiste tant les explications du manuel semblaient claires et sans difficulté réelle. Leur seul véritable problème fut l'installation de l'antenne. Malgré les assurances contraires du constructeur, il avait tenu à la dresser à l'extérieur et avait passé quelques minutes difficiles sur le toit, sous les regards inquiets de la jeune femme qui le voyait déjà s'écraser dix mètres plus bas. Vers le soir, alors que le soleil, qui toute la journée avait brillé par son absence, submergeait la campagne  d'un pourpre d'une stupéfiante beauté, ils contemplèrent leur oeuvre, enfin satisfaits. Ils avaient décidé de tenter l'essai de prise de contact le lendemain après-midi, moment qui leur semblait propice par sa tranquillité. Cela leur donnait aussi quelques heures de répit pour reconsidérer éventuellement leur expérience. Ils avaient beau se répéter qu'ils ne couraient aucun danger s'ils ne révélaient pas d'éléments susceptibles d'identifier l'endroit où ils se trouvaient, ils n'en étaient pas moins anxieux de communiquer pour la première fois avec des êtres dont ils ne savaient rien, sans parler du risque toujours possible d'être écoutés - et peut-être repérés - par des oreilles hostiles.

       A deux heures précises, le lundi après-midi, les émissions des inconnus reprirent. Coralie regarda Larcher durant quelques secondes et reporta son regard sur sa main droite qui se trouvait à quelques millimètres du curseur. Grâce aux batteries heureusement encore chargées qui l'accompagnaient, l'appareil était branché et n'attendait plus que leur bon vouloir. Ils avaient décidé, pour des raisons essentiellement psychologiques - une moindre agressivité apparente - que ce serait Coralie qui ferait le premier essai. Par le haut parleur de l'engin, relayé par le petit récepteur ondes courtes, la voix de la jeune femme inconnue était étonnamment claire, comme si elle parlait de la maison voisine. Larcher avait mis en garde sa compagne contre cet effet trompeur dont il savait qu'il était propre aux radio-communications, d'autant que les ondes étaient évidemment loin d'être saturées.

              - JS et Guépard sont au SM 12 pour une R1. Je répète : SM12 pour une R1. Plusieurs DTT à l'entrée S. VX possibles. INT totale jusqu'à intervention du GAF. Je répète : VX possibles, INT totale. HF signalé au centre SM12. Possibilité. Possibilité. Référencer Willy avant demain 10 heures. Info 14/12...

       Coralie regarda son ami qui murmura : vas-y. D'un geste décidé, elle poussa le bouton et, la voix ferme, lança les premières phrases qu'ils avaient longtemps méditées et écrites sur le petit bloc qu'elle avait sous les yeux.

             - Transmetteurs fréquence 52, bonjour. Ici, Coralie qui parle et souhaite entrer en contact avec vous. Je répète : Coralie souhaiterait entrer en contact avec vous.

       L'émission inconnue s'était interrompue dès le premier mot de la jeune femme. Larcher s'approcha tout contre elle et posa sa main sur son épaule. Il lui murmura à l'oreille : je crois que ça marche. Il n'arrivait pas à s'en persuader, certain qu'il avait été qu'il leur faudrait des heures pour arriver à se faire entendre, pour régler correctement leur appareillage. Il était stupéfait de réussir du premier coup. Le silence dura une dizaine de secondes puis la voix reprit, toujours aussi calme.

           - Attention, rapports suspendus. Rapports suspendus. Interférences humaines sur contact. Ne quittez pas l'écoute.

       Larcher se demandait si cette dernière phrase s'adressait à eux ou aux auditeurs probables de l'émission. La main toujours sur l'épaule de sa compagne, il attendit mais la voix semblait s'être définitivement tue. Lui auraient-ils fait peur ? Leurs bizarres correspondants avaient-ils décidé de fuir leur présence, de rompre les ponts avant même de leur avoir permis de s'expliquer ? Après la joie immense d'avoir été entendus, Larcher sentait se profiler une intense déception. Coralie devait ressentir les mêmes inquiétudes car, se penchant à nouveau sur l'appareil, elle reprit :

                  - Ici, Coralie. Je désire entrer en contact avec vous.

               - Je vous entends, Coralie. Veuillez attendre un instant, s'il vous plait.

       Larcher ne put s'empêcher de pousser un cri de joie, un hourra de victoire, immédiatement suivi par la voix qui demanda :

                  - Il y quelqu'un avec vous, Coralie ?

                  - Oui, c'est mon ami qui...

            - Ne dites rien, Coralie, ne dites surtout rien pour le moment. Quelqu'un va vous répondre.

        L'attente dura encore une bonne dizaine de minutes puis la voix revint, toujours aussi paisible.

               - Coralie, vous êtes toujours à l'écoute ? Bien. Pouvez-vous me dire quelles sont les spécifications de votre émetteur ?

               - Heu, oui mais...

               - Cela doit être écrit quelque part au dos de votre appareil ou sur le document du constructeur si vous l'avez encore.

               - Bon, je cherche. Une seconde, s'il vous plait, heu...

               - Joy. Vous pouvez m'appeler Joy.

       Larcher s'empressa de recopier tous les symboles, lettres et chiffres qu'il put trouver sur la fiche des caractéristiques de l'émetteur qui traînait sur la table. Coralie les ânonna à sa correspondante.

             - Merci, ça suffit, Coralie. J'ai ce dont j'ai besoin. Ecoutez-moi bien. Nous allons effectuer un contact mais n'utilisez plus cette fréquence. Reportez-vous sur le canal 39 de votre appareil. Quelqu'un vous prendra en charge. A 5 heures de l'après-midi. Je répète : 17 heures, canal 39. Au revoir, Coralie, bonne chance.

     

      

       Les deux amis n'en pouvaient plus de surexcitation et d'impatience. Ils échafaudaient cent théories diverses. Coralie était à présent à peu près convaincue qu'il ne s'agissait pas de Viraux ou de quelconques loubards en quête de victimes innocentes. Elle expliqua même à Larcher qu'ils étaient peut-être entrés en contact avec un organisme officiel, ou quelque chose du genre, qui aurait survécu au désastre. Elle en arrivait à se demander si l'épidémie n'avait pas épargné une partie du pays où une certaine forme d'organisation aurait pu se maintenir. Si cela était le cas, leur cauchemar risquait de prendre fin et cette perspective si nouvelle suffisait à lui rendre un moral et une joie de vivre depuis longtemps oubliés. Restaient bien sûr beaucoup de questions sans réponses et notamment la première d'entre elle : comment faire pour rejoindre ce qui paraissait être un refuge au milieu du chaos ? C'est le cœur battant et emplis d'un espoir irraisonné qu'ils se postèrent devant leur émetteur, bien avant l'heure dite. Les inconnus furent exacts au rendez-vous. Cette fois-ci, il s'agissait d'un homme à la voix étonnamment grave, presque une voix de basse, qui leur parla.

               - Coralie, j'appelle Coralie. Etes-vous à l'écoute Coralie ?

               - Oui, ici, Coralie. Bonjour.

            - Bonjour Coralie. On m'a transmis votre appel et je dois dire que j'ai très envie de parler avec vous mais il faut d'abord que je vous mette en garde. Surtout, ne dites rien qui permette de vous identifier ou de vous retrouver. Nous avons de bonnes raisons de croire que des personnes mal intentionnées sont parfois à l'écoute. Et pas seulement des malades. Vous me comprenez bien, Coralie ?

               - Tout à fait. Tout à fait. Je peux vous demander comment vous vous appelez ? Vous comprenez, c'est plus facile pour...

              - Bien sûr. Je m'appelle Willy et je vais vous expliquer qui nous sommes. Sans détails trop précis évidemment, vous m'en excuserez. Mais d'abord, j'ai cru comprendre que vous n'étiez pas seule ?

                 - Non, j'ai mon... ami avec moi. Il s'appelle Julien. Nous ne sommes que tous les deux ici. Vous voulez lui parler maintenant ?

           - Dans un moment. Dites-moi d'abord comment est la situation chez vous. Pas trop de problèmes ?

       Coralie expliqua leur périple, les difficultés auxquelles ils avaient été confrontées, en prenant bien garde de ne pas laisser échapper un indice, un nom de lieu trop précis. Elle se rendit compte que ce n'était pas si facile. Elle conclut en expliquant que,  sans se sentir à proprement parler menacés, ils souffraient de leur isolement, d'une impression d'abandon. Plus qu'une vie, il s'agissait d'une survie, précisa-t-elle, et il leur tardait de retrouver un mode d'organisation plus collectif. Leur interlocuteur ne parut pas étonné.

               - Je comprends, Coralie. Ce que je peux vous dire, c'est que nous avons formé ici une sorte de communauté, de mini-société si vous préférez, où nous cherchons à mettre en commun certaines choses, certaines activités, surtout en ce qui concerne la sécurité. Car, hélas, vous devez le savoir, les temps sont troublés, c'est le moins qu'on puisse dire. Alors, nous essayons de nous organiser pour résister le mieux possible.

                - Et vous croyez que, nous aussi, on pourrait...

               - Sans doute, sans doute. Mais vous comprendrez qu'il nous faut être prudents. Dans notre intérêt mais aussi dans le vôtre. Ecoutez, si vous décidez de nous rejoindre, on va réfléchir au meilleur moyen de vous accueillir. On vous fera savoir comment on peut procéder pour nous rencontrer sans trop de risques. Mais, pour aujourd'hui, je crois que cela devrait suffire comme premier contact.

               - Attendez, nous aimerions bien...

            - Je sais, Coralie, vous avez beaucoup de questions à nous poser et j'aimerais pouvoir vous satisfaire mais nous sommes peut-être écoutés par des gens qui ne sont pas forcément des amis. Vous savez bien, ces bandes de salopards qui profitent de la situation actuelle pour se livrer aux pires excès. Vous avez certainement dû en rencontrer, non ? Ce ne sont pas tous des malades - ceux-là, d'ailleurs, il y en a de moins en moins - et certains des autres savent se servir d'émetteurs d'où mon souci de ne pas être trop long. Il existe des appareils de détection très au point, vous savez, et ce serait dommage de rechercher des ennuis pour rien. Saluez votre ami pour moi et on se recontacte, disons, après-demain, même heure. D'accord ?

       Larcher et Coralie passèrent le reste de la journée à évoquer cette extraordinaire conversation. De manière amusante, Coralie qui, depuis le début, avait été assez réticente, aurait souhaité précipiter les choses, quitter enfin cette maison qu'elle avait prise en grippe, même au risque d'être confrontés à des situations délicates. Larcher, à l'inverse, était plus hésitant. Il aurait voulu en savoir davantage sur cette communauté inconnue. Ils étaient en revanche d'accord sur un point : quel que soit le futur à venir, leur halte à Sainte Hippolyte touchait à sa fin et c'était tant mieux.

     

     

    Mercredi 16 avril

      

    Larcher traça un cercle sur le verre embué de la baie vitrée. Le temps qui les avait épargnés jusque là s'était brutalement dégradé et, dehors, il pleuvait à verse. De grosses gouttes tambourinaient sur le carreau et, à presque cinq heures de l'après midi, on y voyait à peine. La lumière blafarde qui tombait du ciel d'orage rappelait les pires journées d'hiver. Il souffla à nouveau sur la vitre pour compléter du doigt un dessin touffu, mélange de formes géométriques et de traits irréguliers qui cherchaient à suivre le cheminement des gouttes serpentant à l'extérieur. Enfant, face aux heures d'oisiveté et d'ennui qui parfois le rejoignaient dans sa chambre, il s'amusait ainsi à dessiner sur le verre des mondes fantastiques et des créatures absurdes, à la grande colère de la femme de ménage qui, par la suite, ne voyait là que des traces de doigts uniquement destinées à la faire enrager. Se remémorant ce souvenir oublié, Larcher effaça d'un grand geste du plat de la main les signes cabalistiques et se retourna vers Coralie. La jeune femme était sagement assise face à la grande table du living et, la tête penchée comme une couseuse des temps anciens, complétait la liste des provisions et des objets divers à emporter, réétudiée en fonction de voyages de durées différentes. Se sentant observée, elle releva la tête et lui adressa un large sourire.

              - Il va être l'heure. Pourvu que Willy n'ait pas changé d'avis. Ca me ferait du bien de rencontrer des êtres vivants, des gens raisonnables, je veux dire, lui adressa-t-elle pour la dixième fois.

       Larcher regarda sa montre alors qu'il savait parfaitement l'heure.

               - Eh bien, on y va mais auparavant je baisse les volets comme ça on pourra allumer.

       Les cadrans et diodes luminescentes de leur appareil de transmission semblaient leur sourire, fragiles relais avec une autre vie. Bien qu'ils n'aient attendu qu'elle, la voix de l'homme les fit sursauter.

               - Willy appelle Coralie. Coralie, vous m'entendez ?

           - Je vous entends remarquablement bien, Willy. Bonjour. Julien est avec moi, vous pouvez parler.

               - Bonjour mes amis. Nous avons réfléchi. Le meilleur moyen pour venir nous rejoindre est de fixer un rendez-vous intermédiaire où nous pourrons vous laisser des instructions. Pour ça, j'ai besoin de votre collaboration. Avez-vous un guide Michelin, Coralie ?

         La jeune femme se tourna vers son compagnon, interrogative. Devant sa réponse affirmative, elle s'écarta.

              - Willy, je vous passe Julien. Vous verrez avec lui.

           - J'ai un guide Michelin, reprit Julien un peu étonné, mais pourquoi vous faut-il...

            - Ecoutez-moi, Julien. Il me faut l'année de votre guide. Je vous indiquerai une page où vous trouverez le nom d'une ville. Quand vous aurez ce nom, vous n'aurez qu'à me dire quand vous pensez pouvoir y être. On vous dira comment chercher la suite. Je sais que tous ces mystères font un peu boy-scout mais c'est seulement une précaution supplémentaire. Je souhaite vous faire courir, nous faire courir, le moins de risques possibles, vous me suivez ?

            - Bon, comme vous voulez. Je n'ai qu'une édition du Michelin, Willy, c'est celle qui était dans l’endroit où nous sommes et elle date de 2007. Je sais que c’est vieux mais... je peux aller en chercher un bien plus récent dans un magasin si cela peut aider…

             - Non, vous pouvez attendre une minute…

        Coralie alluma une cigarette et se renversa en arrière sur sa chaise. Comme tout est devenu compliqué aujourd'hui, pensa-t-elle. Mais ils ne pouvaient en vouloir à leur nouvelle connaissance de prendre ce luxe de précautions. Sans d'ailleurs êtres sûrs de quoi que ce soit car n'importe quel individu hostile pouvait tout aussi bien qu'eux suivre les indications données. La voix de Willy résonna à nouveau.

               - C’est bon, on l'a, nous aussi. Voilà, on a vérifié. Vous devez regarder page 37, 12ème ligne. Bien compris ? Répétez s'il vous plait.

                  - Page 37, 12ème ligne, édition de 2007.

          - Parfait. Maintenant, on n'évoquera plus jamais ces indications, d'accord ?

                  - Oui mais...

               - Comme nous ne savons pas où vous êtes, c'est vous qui nous direz quand vous arriverez là-bas. Prenez votre temps pour bien réfléchir et comptez large. Je vous rappelle dans deux jours, même heure, pour vous donner le contact sur place. Bonsoir, mes amis, nous n'avons déjà que trop parlé.

                - Willy, s'il vous plait, pouvez-vous nous dire quand même dans quel coin du pays... Pour se faire une idée, même vague, de la route qui nous attend.

        L'homme hésita deux à trois secondes puis reprit.

               - Je pense que je peux vous dire... C'est au bord de la mer. Avec les indications du guide, vous aurez une idée plus précise. Excusez ma méfiance mais nous avons eu des problèmes à cause de la radio et... Mais, je vous raconterai quand nous nous verrons. Bonsoir. A vendredi.

       Après avoir pensivement coupé la communication, Larcher se retourna vers Coralie.

               - T'as entendu ? Le bord de mer. Quelle qu'elle soit, cette mer, ça nous fait traverser la moitié du pays. Merde, c'est bien notre veine !

               - Où il est ton guide ? répondit Coralie.

       Larcher se rua vers le 4X4 où il avait vu le guide pour la dernière fois. C'était le genre de livre qui, contrairement à ce qu'il avait pensé au tout début, gardait toute son actualité par les adresses multiples qu'on y trouvait et il l'avait inclus avec les cartes routières pour leurs voyages à venir. Il revint en brandissant l'ouvrage qu'il s'était fait un devoir de ne pas consulter sans elle. Fébrilement, ils recherchèrent la page 37. La ville était Arcachon. Ils redressèrent la tête ensemble.

              - Eh bien, murmura Coralie, c'est l'Atlantique.

     

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